A PROPOS DE "L'AXE DU FOU" (2009)

Quelle idée avais-tu en tête en appelant "L'Axe du Fou" le morceau du même nom, puis l'album ?

Le titre m'est sorti de la tête sans que je sache pourquoi ! Il y a bien sûr une référence à la Grande Roue. On peut dire que ma musique tourne en quelque sorte autour d'un axe - et comme dans tout groupe du reste, c'est la batterie qui tient ce rôle. Le "fou", ce serait celui qui a inventé le principe infernal de la roue !

Peux-tu nous expliquer un peu les titres des autres morceaux ?

"La Clef", avec son introduction énergique, me fait penser à une fusée qui s'élance à la conquête d'un nouveau monde. J'ai composé ce titre en deux fois : en 1997 d'abord, sous le titre "Urgence", qui devait figurer sur Roue Libre; puis en 2006, quand la violoniste Caroline Bugala a intégré mon groupe, pleine d'énergie. Finalement, Karolina Mlodecka l'a remplacée, et hasard, elle est elle aussi d'origine polonaise. Je trouve qu'elle interprète merveilleusement ce morceau qui, dans sa structure rythmique, peut faire penser à la musique tzigane. Le violon joue un rôle capital dans ma musique. Il ne doit ni être trop jazz, ni trop classique.

"Double Sens" parle du sens caché des choses. Il durait à l'origine plus de 35 minutes, mais j'ai constaté qu'il était, dans cette forme, trop long et pas assez efficace. J'en ai donc supprimé une bonne partie, en cherchant à aller à l'essentiel, un peu comme un cuisinier peaufinerait sa recette ! J'ai décidé de garder le début du morceau tel quel, mais quelque temps plus tard, je lui ai donné une autre forme plus efficace. Je savais que mon guitariste aurait un plaisir fou à terminer ce titre par un chorus éblouissant tel qu'il sait les faire. J'ai remarqué que les titres qui se déroulent le mieux ne durent pas plus de ving minutes, autrement dit une ancienne face de 33 tours. Il faut savoir reconnaître ses erreurs, c'est ce qui fait évoluer le musicien. C'est sur scène que les choses deviennent claires : chaque mélodie doit être jouée le temps qu'il faut, ni plus ni moins. Etre batteur permet d'avoir cette vue d'ensemble indispensable sur la musique.

"La 13ème Lune" parle de ces jolies femmes qui n'aiment que les femmes, qui prennent plaisir à vous faire douter de vous-mêmes et vous détruire. Elles sont plus vicieuses et méchantes que les hommes, car elles vous tiennent aux sentiments ! Au début, on tombe dans le piège. Ensuite on retient la leçon ! Et avant de s'aventurer tête baissée, on commence par lever la tête au ciel, surtout la nuit quand la lune brille, pour freiner ses impulsions et détecter à temps ce Satan déguisé en fillle !

Y a-t-il un lien entre "Soleil 12" et "La 13ème Lune", est-ce un clin-d'œil ?

Oui, il y a un lien : "Soleil 12" représente la rencontre avec l'inconnue, et "La 13ème Lune", la rupture.

"Soleil 12" contenait beaucoup de musique datant de la fin des années 70, alors que "L'Axe Du Fou" est entièrement nouveau. Sens-tu une différence entre ces compositions écrites à presque 30 ans de distance, ou est-ce au fond la même musique ?

Ma constance dans mon écriture musicale peut surprendre ceux qui me suivent depuis longtemps. Il est très difficile de se juger soi-même, mais il me semble qu'on reconnaît assez facilement ma musique. L'idée, c'est que plus on compose, plus on sait composer : petit à petit, on devient plus clair et surtout plus efficace. Avec l'âge, on a plus confiance en soi. Dans mon cas, je ne me sens ni trop jeune et ni trop vieux pour assumer ce répertoire, avec toutes ses difficultés; j'essaie seulement de donner l'illusion que ce que nous jouons pourrait être improvisé dans l'instant, alors qu'évidemment il n'en est rien. Il y a évidemment une continuité entre "My Trip", sur mon premier album Cocktail, et "Coup De Théâtre", dont j'avais composé une première version en 1978 mais que j'ai retravaillé bien plus tard pour Soleil 12. "L'Axe Du Fou", par contre, a été composé en 2007 d'une seule traite, avec comme objectif de donner encore plus la parole à mes nouveaux musiciens. Si je compare le contenu de Soleil 12, qui a fait l'objet de reprise d'anciens titres, et L'Axe Du Fou, je peux dire qu'ils résultent d'une même alchimie, et qu'ils sont complémentaires l'un de l'autre. C'est la même musique mais, du fait de mon évolution personnelle, le nouveau répertoire bénéficie, je pense, de ma maturité actuelle.

Comme son titre l'indiquait, "Coup De Théâtre" passait du coq à l'âne, avec quelques séquences un peu "pastiche" (jazzy, hard-rock...) alors que les longs morceaux sur le nouveau CD semblent plus unifiés, plus cohérents. Est-ce quelque-chose de réfléchi ?

"Coup De Théâtre" symbolise la démolition de la Grande Roue, qui a eu lieu en 1921. Pour illustrer cet événement, la diversité musicale était la bienvenue ! "L'Axe Du Fou" et "Double-Sens", les deux longs morceaux du nouveau CD, sont beaucoup plus courts et (relativement) linéaires dans leur construction. "L'Axe" serait un titre matériel; "Double Sens", spirituel.

Est-ce un bon résumé de ta musique de dire qu'elle mélange des mélodies simples et des rythmes compliqués ?

Effectivement, et c'est pour ça qu'elle est "populaire" : des mélodies que l'on peut facilement retenir... Mais avec, derrière cette apparente simplicité, une alchimie rythmique qui leur donne une forme très particulière. L'aspect spirituel de ma musique se développe au travers les polyrythmies et les mesures impaires. Il ne faut pas jouer en comptant les mesures, mais en les ressentant. Le résultat peut sembler, de prime abord, démonstratif et complexe à certaines oreilles, mais il fait partie d'une vision musicale bien plus large, qui consiste à atteindre une sorte de connivence entre le prana - le souffle - et le rythme.

Christian Vander dit souvent que la batterie est le dernier élément auquel il pense quand il compose sa musique. Est-ce aussi ton cas ?

Je suis d'accord avec Christian. La batterie doit avant tout accompagner la musique. C'est un instrument moins mélodique que les autres. Le fait de composer notre propre musique est un moyen de compenser cette frustration. Je réalise les maquettes de mes morceaux aux claviers, ce qui sert de base de travail à mes musiciens. Ce n'est qu'après que la batterie entre en scène. Là je me retrouve dans la même situation que le reste du groupe : j'apprends à jouer ma propre musique, en tant que batteur-interprète ! Pour stimuler ma mémoire, car je suis autodidacte, je chante mes musiques dans ma tête tout en jouant.

Te vois-tu plus comme un compositeur ou un batteur ? Les deux "fonctions" sont-elles complètement séparées pour toi ? Difficiles à concilier parfois ?

Je suis à la fois un batteur, qui doit bien apprendre sa leçon avant de jouer, et un compositeur, qui doit anticiper et donner une impulsion à chaque musicien pour que la prestation du groupe soit aussi efficace que possible : les deux fonctions sont forcément séparés. Quand je compose, je n'ai pas ma batterie avec moi; quand je répète, je redeviens simple batteur. C'est seulement à ce moment que je réalise la difficulté de ce que j'ai écrit ! Mais plus on joue, plus on répète, plus on fait de concerts, plus on apprend à se connaître et à progresser, meilleur est le résultat.

Ton groupe actuel existe depuis bientôt deux ans : un record ! Il y a plus d'unité et de camaraderie entre vous. Penses-tu que les expériences collectives, comme l'enregistrement de l'album ou votre voyage en Corée, ont renforcé les liens entre vous ?

La chance de jouer sa musique à 9000 kilomètres d'ici, c'était du rêve à l'état pur ! Le destin nous a souri au bon moment. Dans ce groupe, chacun donne vraiment le maximum de son talent et à l'écoute de L'Axe Du Fou, ça ne fait aucun doute, je crois ! L'enregistrement d'un album permet de resserrer les liens, de se découvrir les uns les autres sous d'autres aspects. Il y a beaucoup d'amitié dans ce groupe, c'est assez rare je pense. Dès que nous commençons à jouer, nos visages s'illuminent, et les gens le voient bien... Naturellement, j'aimerais garder la même équipe sur la durée, mais jusqu'ici le destin en a décidé autrement. Aujourd'hui mon équipe est plus soudée que jamais, et je m'en réjouis. Il faut savoir être patient et ne jamais perdre de vue le but qu'on s'est fixé. La progression est parfois très lente, mais le résultat est là et justifie tous ces efforts. J'espère prolonger ce bonheur encore longtemps !


A PROPOS DE "SOLEIL 12" (2005)

Avec une parenthèse solo en 2002 avec Synchronicité, il y a finalement près de six ans d’écart entre Extra-Lucide et Soleil 12. Qu’est-ce qui nous a valu une si longue absence ?

Les six ans qui ont séparé Extra-Lucide de Soleil 12 ont été consacrés, d'une part, à la réalisation de Synchronicité, qui s'est étalée sur deux ans environ, et d'autre part à la constitution de mon nouveau groupe, en essayant de trouver les musiciens qui correspondent le mieux à ce que je recherchais depuis longtemps. Dans ce style de musique, il ne faut pas se tromper dans ses choix ! Et pour ma part, c'est avant tout autour d'un esprit de famille que je cherche à faire partager ma musique. Rares sont les musiciens de mon âge prêts à s'engager dans une formation comme la mienne. C'est pourquoi les musiciens de mon équipe ont entre 25 et 38 ans. Je ne me sens pas pour autant un vieux dinosaure à côté d'eux ! En tout cas, tout baigne, ils sont à l'écoute, ils n'ont pas la grosse tête et sont surtout très brillants, pour ne pas dire... phénoménaux !!

Bref, je n'ai pas vu ces six ans passer, ce qui prouve que lorsqu'on est passionné, le temps ne compte pas... J'ai tendance à penser que le temps vaut mieux que l'argent, et Soleil 12 en est la meilleure preuve, car bien que réalisé avec très peu de moyens, c'est un album très satisfaisant, je crois.

«Soleil 12» sort chez Cuneiform. Comment s’est passée la rencontre avec le fameux label américain ?

Eh bien, disons que la chance nous a souri, puisque Steve Feigenbaum, le patron de Cuneiform, était présent à Paris pour les Tritonales 2004, où nous avons présenté pour la première fois "Coup De Théâtre". La salle était pleine et le public, qui attendait depuis longtemps notre retour sur scène, nous a réservé un excellent accueil, même si le fait que nous partagions l'affiche avec un autre groupe nous a obligés à ne pas jouer très longtemps. Conscients que ce concert serait déterminant pour la suite des événements, nous avons tous donné le meilleur de nous-mêmes. Steve est venu me féliciter après le concert et nous sommes restés en contact par la suite. Aymeric Leroy, qui me suit depuis dix ans, a servi d'intermédiaire, et lui a fait écouter les nouveaux morceaux, "Soleil 12" et "Eclipse", enregistrés en répétition. Peu avant la tenue du concert, il nous a proposé de sortir le futur album en septembre, suite au report d'un autre disque, si l'enregistrement du concert était satisfaisant. Ce qui fut, heureusement, le cas... Tout tient toujours du miracle quand il s'agit de faire au mieux avec le minimum !!! Je suis très heureux et flatté d'intégrer l'écurie Cuneiform, qui compte beaucoup de groupes excellents, sans oublier ses rééditions de Soft Machine et Robert Wyatt, qui comptent parmi mes références absolues.

On constate un renouvellement quasi-total de tes musiciens depuis Roue Libre. Alors que l’on pensait la formation stabilisée autour de Mathias Desmier (guitare), Soleil 12 ne conserve plus que Denis Guivarc’h (sax). Qu’est-ce qui nous vaut de tels changements ? Pourquoi ce mouvement perpétuel ?

Ma vision des choses, sur ce point, n'a jamais varié. J'estime avoir beaucoup de chance de rencontrer d'excellents musiciens qui viennent s'éclater à jouer mon répertoire. Alors je m'arrange toujours pour qu'ils aient autant d'opportunités que possible de montrer toute l'étendue de leur talent. A chaque fois que je m'embarque dans la réalisation d'un album, je sais que tout peut arriver... Je n'ai que très peu de gratification financière à offrir à ceux qui décident de s'embarquer sur mon nuage... La seule contrepartie, c'est de vivre une belle aventure et, j'espère, laisser une trace dans la musique de notre époque. Les musiciens qui jouent avec moi sont des perfectionnistes, et je considère que Mathias Desmier, Denis Guivarc'h ou Frédéric Norel comptent parmi les plus doués actuellement. Hélas, chacun poursuit parallèlement à mon groupe sa vie d'artiste et, souvent, de famille, ce qui oblige certains, à un moment donné, à revoir l'ordre de leurs priorités. C'est surtout pour cela que l'effectif de mon groupe s'est renouvelé au fil des années.

Qu’est ce qui t'a poussé à sortir un album live plutôt qu’un album studio ? Des raisons économiques? Es-tu satisfait du résultat ? L'album aurait-il été très différent s'il avait été enregistré en studio ?

A vrai dire, nous n'avons pas vraiment eu le choix. Si on me demandait de choisir, je dirais que dans un concert, il y a une certaine magie, un côté plus ludique, les musiciens étant en contact direct avec leur public, ce qui manque en studio. C'est donc cette formule que je préfère. Pour cet album, ça s'est d'autant mieux passé que nous avons eu l'opportunité d'effectuer la post-production en compagnie d'un véritable sorcier du son, André Voltz, qui a vraiment réalisé des miracles. Mais si la musique est bonne au départ, c'est aussi grâce au public du Triton, dont l'accueil incroyable nous a amenés à nous dépasser, en particulier dans les séquences d'improvisation.

Pourquoi cette nouvelle version de "Pieuvre à la Pluie", qui figurait déjà au sommaire de "Extra-Lucide" ?

Quand nous avons écouté la mise à plat du concert, autrement dit le mixage brut, Aymeric m'a suggéré d'inclure ce morceau en bonus parce qu'il trouvait cette version vraiment formidable. J'ai trouvé cette idée excellente, car j'avais été frustré, depuis le début du Forgas Band Phenomena, de ne pas avoir pu avoir un violoniste à mes côtés. La présence de Frédéric Norel, plus débridé que jamais, apporte beaucoup à cette version, tout comme celle de Denis Guivarc'h qui nous a gratifiés de quelques chorus de pure folie. L'autre raison d'inclure ce titre était que, s'agissant de notre premier album bénéficiant d'une sortie internationale, il était important que les gens en aient vraiment pour leur argent. Avec un CD de plus de 70 minutes, je pense que c'est le cas. Et si l'écoute de "Pieuvre A La Pluie" peut leur donner envie de découvrir l'album précédent, c'est encore mieux !

Peux-tu nous en dire plus sur ton obsession pour la Grande Roue, qui orne une nouvelle fois la pochette ?

Elle symbolise pour moi une époque où les gens étaient moins blasés, ils avaient encore le sens du grandiose, du merveilleux, de l'incroyable. Pendant l'exposition universelle, dans le Village Suisse où avait été dressée la Grande Roue, des montagnes avaent été reconstituées en stuc, avec la maison de Guillaume Tell, et des femmes en robes longues participaient à des concours d'arbalette... Autour de la Roue, il y avait un théâtre, un cabaret - l'Alcazar, et dans un terrain vague attenant le cirque Barnum posait de temps en temps son chapiteau... Les militaires fauchés montaient dans la Grande Roue avec des filles et utilisaient les wagons comme chambres de passe ! Je pourrais vous raconter des milliers d'anecdotes du même genre...

A un niveau plus symbolique, la Roue représente la "roue de la vie", le mandala, très bien décrit par Jung, le psychanaliste, dans ses ouvrages. Pour moi, c'est le symbole d'un jeu où le hasard n'existe pas vraiment : les coïncidences vont font rencontrer ceux qui seront vos vrais amis.

As-tu déjà une idée sur les prochains thèmes à aborder dans tes futures réalisations ?

Eh bien, l'enquête continuera avec autant de pignons qu'il en faut pour inventer l'horloge à remonter le temps ! Tant que la musique tournera, tout ira bien. J'ai déjà plus qu'une petite idée du prochain album. A "Délice Karma", que j'avais composé il y a quelques années et qui dure une bonne vingtaine de minutes, va bientôt s'ajouter "Double-Sens", un morceau encore plus ambitieux dont j'ai déjà écrit plus de vingt-cinq minutes et qui durera peut-être beaucoup plus encore... Il y aura peut-être un troisième morceau, plus court, qui n'est pas encore composé.

Aura-t-on l’opportunité de vous revoir prochainement en chair et en os sur scène ?

Je l'espère bien ! Le fait que Soleil 12 sorte sur un label aussi prestigieux que Cuneiform me rend optimiste quant à la possibilité de faire programmer le groupe dans des festivals, progressifs ou autres. Je serais heureux d'emmener mes musiciens sur des scènes internationales... sans oublier toutefois le public français, qui est très exigeant, mais aussi très fidèle !

Un dernier mot pour la fin ?

Nous n'en sommes qu'au début !...


A PROPOS D'"EXTRA-LUCIDE" (1999)

Vois-tu ce second album du Forgas Band Phenomena comme le successeur logique de Roue Libre ou as-tu volontairement cherché à faire évoluer le concept musical ?

Extra-Lucide est non seulement la suite logique de Roue Libre, mais aussi le résultat d'un certain nombre de concerts parisiens qui nous ont permis, entre musiciens, de mieux nous connaître, et surtout de trouver un son qui soit actuel, puisque les musiciens sont jeunes (moyenne d'âge 28 ans), tout en gardant l'esprit musical des années 70. J'en conclus qu'il est indispensable de faire tourner un répertoire sur scène avant de rentrer en studio pour l'enregistrer. Dans Roue Libre, la part d'improvisation était moins grande que dans Extra-Lucide par le fait que nous n'avions pas rodé ce répertoire en concert. Il faut rajouter que tant Juan Sébastien Jimenez, fabuleux bassiste, Denis Guivarc'h, saxophoniste redoutable, Gilles Pausanias, pianiste de très grand talent, ainsi que Mathias Desmier, à la guitare folle, qui n'arrête pas de se faire remarquer, notamment dans le groupe de Jannick Top, ne peuvent donner en tant que solistes qu'un résultat de très haut niveau, tout en restant chacun très modestes sur leurs comptes.

A propos de tes musiciens, on peut noter que l'effectif du groupe a été en grande partie renouvelé. Pour quelles raisons ?

Il faut savoir que le mode de fonctionnement des musiciens d'aujourd'hui par rapport à leurs engagements et leur fidélité n'a rien à voir avec celui de ma génération. Pour commencer, chaque musicien joue en moyenne avec une dizaine de groupes à droite et à gauche, et par conséquent, se faire remplacer est pour eux monnaie courante. L'inconvénient de ce système, c'est que dans un répertoire comme le mien, on ne peut pas se permettre de recommencer une tonne de répétitions pour un seul musicien qui décide de partir. Donc le découragement de certains provoque le départ d'autres, et c'est pourquoi, n'ayant pas les moyens personnels de les rémunérer, ils peuvent à leur guise disparaître sans donne d'explications. C'est la loi de la jungle ! Ceci pour expliquer que mon entreprise musicale est très complexe, puisque je demande à mes musiciens une disponibilité exceptionnelle pour peu d'argent. Quand je réussis à conclure un CD, je compare ce résultat à un miracle du ciel !

Pour en revenir à ma nouvelle formation, je la dois à ma rencontre avec Juan Sébastien Jimenez, musicien, compositeur, bassiste - également guitariste - au talent fabuleux, qui m'a tout simplement présenté son saxophoniste, son claviériste et... son guitariste, qui n'était autre que Mathias qui est donc revenu à la charge ! Le hasard n'existe pas, car la grande exigence professionnelle de Sébastien pouvait me garantir une équipe de musiciens haut de gamme. Malgré la différence d'âge entre moi et ces quatre musiciens, je dois dire que je me sens plus à l'aise en leur compagnie qu'avec des musiciens de mon âge, compte tenu de leur exigence à toujours vouloir faire le mieux possible. Si je me remets dans le contexte de l'époque, c'est à leur âge que j'avais enregistré Cocktail. Le cycle naturel des choses, c'est que la plupart des musiciens, passé quarante ans, sont souvent dans des crédits et ne veulent plus s'investir gratuitement, sauf quand il s'agit de leur propre musique, naturellement. Pour moi, la musique a toujours représenté un rêve, une fête, et je ne me verrais pas, même plus tard, devenir un 'O.S.' [ouvrier spécialisé] de la musique - non merci !

Denis Guivarc'h est un saxophoniste de 25 ans, donc très jeune, et qui sait tout jouer ! Son petit faible, c'est de se frotter aux mesures impaires, et c'est là où il s'impose selon moi comme l'un des cinq meilleurs en France actuellement. Son amour du beau son et sa finesse de jeu lui donne une personnalité inégalable. Je pense que d'ici quelque temps il fera partie des plus grands : compte tenu de son jeune âge, il a de la marge ! Mon point commun avec lui, c'est la rigueur rythmique et son goût prononcé pour les ambiances. Merci encore, Denis, pour ta présence de jeu et ta générosité de temps !

Malgré une période intermédiaire où Mathias Desmier, après Roue Libre, avait entrepris de s'investir dans ses musiques, j'ai retrouvé avec son retour à ma musique une énergie encore plus forte, avec également une attention toute particulière pour le choix de ses sons à tel ou tel endroit, avec une amplification stéréo comme il se doit. Mathias est un être exceptionnel de gentillesse, vrai, avec un côté philosophique et spirituel. Mes expériences avec les guitaristes ont toujours été bonnes car la guitare reste pour moi l'instrument du blues, l'instrument du pauvre ! Mathias représente pour moi l'unique guitariste actuel capable de surprendre n'importe quelle pointure de par son originalité de jeu.

Quant à Gilles Pausanias, il suffit de l'écouter jouer quelques minutes pour ressentir tout le travail personnel qui l'a conduit à rentrer dans la cour des grands claviéristes. Je souhaite de tout cœur sa fidèle contribution dans les années futures, car il n'est pas facile pour un claviériste de jouer ma musique !

Le son de cet album apparaît plus travaillé, plus moderne, avec notamment des claviers beaucoup plus présents. Est-ce le résultat d'une démarche volontaire de ta part, ou est-ce dû à l'apport de Gilles, ou de l'ingénieur du son, Max Jesion ?

Gilles Pausanias fait partie de cette nouvelle génération de musiciens dont le niveau technique et harmonique est très fort. L'héritage de la musique au cours des cinquante dernières années fait partie de jeu de la plupart des nouvelles élites musicales internationales. Comme la musique en général n'offre jamais de limites, on peut imaginer que, dans cinquante ans, des musiciens de niveau moyen jouent comme nos musiciens préférés des années 70, compte tenu d'une évolution constante dans le temps. Etant le claviériste attitré de Sébastien, Gilles n'a eu aucun mal à s'adapter à mon répertoire. Un détail important était qu'il connaissait la musique de Soft Machine, et qu'il devait donc s'attendre à jouer sur des mesures impaires. Gilles a donc pu chorusser à volonté là où il le sentait. Dans ma musique, le pianiste doit savoir créer des sons adéquats pour les différentes ambiances recherchées. Le résultat va au-delà de mes espérances. Je dois évidemment remercier aussi mille fois Max Jesion, saxophoniste brésilien, ingénieur du son, autodidacte mais fidèle aux émotions, pour la qualité de la prise de son et du mixage. J'ai une assez grande affinité avec les musiciens brésiliens et cela nous a aidés pour travailler ensemble.

Ta musique voit se succéder des parties très écrites et des plages d'improvisation. Ces deux dimensions sont-elles pour toi aussi indispensables l'une que l'autre, en tant que compositeur, en tnt que "chef d'orchestre"... et en tant que batteur ?

Le point de départ de toute musique, c'est la mélodie. Il est donc capital de les faire jouer par de grands musiciens, même si les thèmes paraissent au premier abord faciles à jouer. Les musiciens ont naturellement besoin d'espace dans la musique pour improviser. Ce qui fait leur talent, c'est la manière dont ils abordent les chorus, car la qualité et la quantité de marchent pas toujours de pair. Là où l'on reconnaît les grands, c'est plus souvent lorsque leur démarche n'est pas calculée, et non dans leurs démonstrations. En ce qui concerne mon chorus de batterie, je ne l'ai pas pensé en terme de chorus, mais en terme de dialogue. Ce sont les mots simples qui expriment le plus. Si cette musique devait prouver quelque chose, il y a longtemps qu'elle ne se jouerait plus. Au contraire, plus ou la joue et plus on la respecte, et on ne l'encombre pas de notes inutiles. La spontanéité est la seule manière de dire toute la vérité, rien que la vérité. En résumé, un batteur, par définition, ne peut pas jouer seul. Par conséquent, je ne le répèterai jamais assez : si cette musique existe aujourd'hui, c'est surtout grâce aux musiciens qui m'entourent.

Sur cet album comme le précédent, les compositions sont totalement instrumentales. Pour toi, est-ce juste de la musique, ou cherches-tu à exprimer des idées précises ? Les titres des morceaux sont-ils donc à prendre au sérieux ?

Pour moi, le choix d'une musique instrumentale simplifie le problème consistant à essayer de chanter en même temps que de jouer de la batterie. Ma musique n'est pas une musique de chanteur : dans Cocktail j'utilisais avant tout ma voix comme un support mélodique. A l'époque, j'ai essayé de chanter sur scène tout en jouant, mais mes musiciens se montraient très critiques quant au résultat... Mes modes mélodiques instrumentaux sont toujours simples à retenir; simplement, c'est quand on les joue sur des rythmes en cinq, sept ou neuf temps que ça se complique ! Je ne suis pas batteur pour rien... Je pense aussi que tous les batteurs qui composent ont ça en commun. Pour moi, tout est parti de Robert Wyatt. C'est à cause de l'anniversaire de ma petite amie, qui fêtait ses 17 ans à l'époque, en 1969, que j'ai découvert ce sacré Robert dans Soft Machine... J'aurais dû me casser une jambe sur ma mobylette ce jour-là - au moins je n'en serais pas là aujourd'hui ! (rires)

En ce qui concerne les titres des morceaux, ne commencerais par dire qu'en ce moment, il n'est pas forcément bon d'être trop lucide ! Cet album rend hommage au cirque Barnum, qui se produisait au pied de la Grande Roue de l'Exposition Universelle de 1900. Le point commun entre notre époque et celle-là, c'est qu'aujourd'hui ma musique n'est pas reconnue et qu'aucun média ne la diffuse. Je suppose qu'à l'époque, le monde du cirque, qui n'avait pas les médias pour support publicitaire, devait galérer pour faire venir le public sous son chapiteau ! D'autre part, dans les fêtes foraines de l'époque, on annonçait des phénomènes de foire, des êtres insolites aux mille qualités, des personnages sortis tout droit d'un rêve ou d'un cauchemar... Eh bien, le Forgas Band Phenomena en concert montrera qu'en France, il se passe autre chose que tout ce qu'on raconte à la télé ou ailleurs ! Mes musiciens feront musicalement un strip-tease intégral, et cela redonnera envie aux très jeunes de faire à leur tour de la musique plutôt que de l'ordinateur... Le titre "Pieuvre à la Pluie" sera donc l'illustration sonore d'un spectacle de cirque avec magiciens, cracheurs de feu, jongleurs, funambules, etc. "Extra-Lucide" sera le morceau d'ouverture du concert, vers l'insolite, la découverte du futur. "Rebirth" symbolisera le baptème de l'air par la voie de la Grande Roue, comme une renaissance de la vision du monde. "Annie Réglisse", c'est le parfum et les couleurs du spectacle de l'Alcazar de Paris, avenue de Suffren, avec ses danseuses et ses orchestres. "Villa Carmen", c'est les soirées spirites très demandées dans les milieux mondains pour communiquer avec un être cher perdu pendant la guerre de 14-18. Ce phénomène de mode s'organisait dans les plus grand hôtels parisiens, comme dans des baraques foraines...

Tu sembles décidément être fasciné par le Paris de la belle époque. L'esprit de cette époque est-il toujours présent dans certains endroits de la capitale, ou a-t-il totalement disparu ? Si tu pouvais choisir de vivre à une autre époque, déciderais-tu de revivre les années 70 ou le début du siècle ?

Ce qui me fascine, dans Paris, c'est la variété de styles d'architecture, ainsi que certains monuments comme la Tour Eiffel. J'ai l'impression qu'à l'époque, on donnait plus de temps et de moyens aux créateurs pour l'embellissement de Paris. Aujourd'hui nous vivons le grotesque, avec l'Opéra-Bastille, l'Arche de la Défense et tout le reste - c'est la génération 'béton armé' !!! Les décideurs font passer le profit avant le Beau. Il faut être le petit copain du ministre de la culture pour avoir des subventions démesurées. Au diable les lèche-bottes qui se montrent sans arrêt partout et n'intéressent plus personne ! Il n'y a pas de mal à préférer l'Opéra Garnier, le Grand Palais, le Pont Alexandre III, qui ont été construits à l'époque de l'exposition universelle de 1900. En ce qui me concerne, je préfère avoir connu les années 70 plutôt que le début du siècle, pour une question d'idéologie et de révolution culturelle, car nous sommes une génération d'après-guerre qui a manqué de tout, donc nous ne sommes pas blasés comme certains jeunes d'aujourd'hui qui comptent un peu trop sur leurs parents. Nous avons connu le début des premières guitares électriques gagnées à la fête foraine, les premières batteries pailletées de toutes les couleurs, équipées de peaux animales avec des cymbales de mauvaise qualité toutes gondolées... Ma première batterie, c'était un carton sur un tabouret, avec un bidon pour la grosse caisse et un cache-lampe comme cymbale qui tenait sur un manche à balai ! Après j'ai trouvé dans une poubelle un vieux banjo dont j'ai scié le manche pour en faire une caisse claire. Il n'y a pas de honte à ne pas avoir les moyens; le plus important, c'est de réaliser ses rêves avec les petits moyens dont on dispose, quitte à se faire prêter du matériel provisoirement. Ma première batterie de marque Garry, je l'ai acquise en cachette de mes parents qui détestaient la musique...

Pour revenir à l'album, alors que Roue Libre comprenait deux très longs morceaux et un plus court, cette fois c'est l'inverse : un seul morceau fait une vingtaine de minutes, les autres entre 5 et 8 minutes. Est-ce une façon de proposer quelque chose de plus 'digeste' ?

Le répertoire de Roue Libre, avec les deux longs morceaux, a demandé un travail de répétition plus important que pour Extra-Lucide. Nous avons donc eu plus de travail également à fournir en studio, car il y avait Mireille Bauer en plus de ma formule actuelle à cinq musiciens. On ne peut pas enregistrer des percussions acoustiques en trois heures; vu le répertoire, il faut plutôt compter entre six et huit heures, car il y avait du vibraphone et du marimba, ce qui demande des prises de son différentes. Pour Extra-Lucide, j'ai conçu le répertoire en fonction du temps de répétition dont je disposais. Pour "Pieuvre à la Pluie", à raison de deux répétitions par semaine, il a fallu un mois pour le jouer correctement. Ensuite nous avons pu le jouer en concert et c'est là que la magie intervient ou pas. Pour le fun, avec ma formation actuelle, nous nous sommes amusés à improviser directement sur scène, notamment au Petit Journal Montparnasse, car nous sentions des ondes positives pour le faire. Il serait tout à fait possible pour nous de faire un CD live totalement improvisé... A l'origine, je comptais enregistrer "Pieuvre à la Pluie" et une nouvelle composition de 40 minutes, "Coup de Théâtre", mais faute de temps et de moyens j'en suis resté à un choix de titres plus modeste. J'aime les morceaux courts, comme en témoigne la première face de Cocktail, qui était une succession de petits titres. Extra-Lucide a peut-être trouvé un compromis entre l'écriture et l'improvisation, et cela valorise tout le monde, alors c'est tant mieux !

On t'associe souvent à la scène de Canterbury et en particulier au Soft Machine de l'époque Robert Wyatt. De quel point de vue revendiques-tu cette influence ?

J'ai adoré la finesse de jeu de ces groupes, ainsi que leur originalité, et tous ont contribué à mon éducation musicale, qu'il s'agisse de Soft Machine, ou encore de Caravan, Hatfield and the North ou Henry Cow. Dans leur musique, il y avait cette idée de performance, de recherche d'atmosphères, qui renvoie pour moi aux alchimistes de l'époque médiévale. On ne peut d'ailleurs pas détacher l'idée spirituelle du matériel, car l'un et l'autre sont complémentaires. Pour moi, nos musiques sont liées à notre philosophie, à notre amour du beau, du sublime. Comme l'alchimiste prépare ses ingrédients en fonction des saisons, en tant que compositeurs nous devons tout à l'inspiration qui nous vient du ciel. Nous devons beaucoup à la culture anglaise, irlandaise dans les mélodies, les espaces, le bleu du ciel et ses paysages dégagés. Leur musique provient certainement de la frustration qu'ils éprouvent en réaction au monde moderne qui ne veut pas entendre parler d'irrationnel. En Angleterre, les pluies et le brouillard sont souvent présents. Les gens vivent donc souvent plus à l'intérieur de chez eux, autrement dit dans leur intimité, qu'à l'extérieur, à l'air libre. Leur musique est donc le fruit d'un imaginaire très intense dans lequel on perçoit des quantités incroyables de couleurs, de formes, d'émotions. Le résultat de leurs œuvres est unique au monde, car ils ont su utiliser les sons synthétiques avec merveille - ce sont des sorciers ! Ils ont concocté des drogues sonores naturelles pour que l'on puisse se détacher des contraintes matérielles. L'un des rares musiciens anglais qui ait utilisé sa voix comme support sonore psychologique, c'est bien Robert Wyatt - dans son avant-dernier album, Dondestan, on ne peut que s'incliner devant le travail de recherche mélodique et climatique, avec comme fond sonore ses synthés et sa voix qui se fond comme du miel dans du lait. Bravo, Robert !

Le genre de musique que tu joues n'a plus la même popularité que dans les années 70. Es-tu totalement déprimé par l'environnement musical actuel, ou perçois-tu les signes d'un désir des gens d'élargir leurs horizons musicaux ?

C'est le moins qu'on puisse dire ! Les modes changent, mais la bonne musique de tous styles restera une compagne fidèle pour ceux qui sauront la savourer. La mienne a la chance de ne pas trop se démoder et, au contraire, d'intéresser de plus en plus d'amateurs. La publicité de cette musique se fait de bouche à oreille, également sur internet en passant par les fanzines et les radios libres. En règle générale, quand la musique n'a pas d'âme, elle ne marche que le temps d'une diffusion médiatique intense. Ensuite, elle meurt instantanément. On remarque toutefois que depuis que le vinyle à laissé la place au CD, nombre de jeunes ont pu découvrir avec grand intérêt la musique de leurs parents. En clair, ce n'est pas parce que personne ne parle de nous dans les médias qu'on doit se taire et stopper nos entreprises marginales. Au contraire, je trouve que cela nous motive encore plus d'être ignorés, car nos inspirations développent notre rage de vivre. Nous nous battrons jusqu'au bout pour défendre l'amour de l'art. Je citerai à ce propos une phrase d'André Breton : "l'Art n'est pas un produit"...

Quels sont tes projets, avec le groupe et en dehors ?

J'ai composé cette année un nouveau titre de vingt minutes que j'ai intitulé "Délice Karma". Il intéressera surtout tous ceux qui placent la mélodie au premier plan. Ce titre comporte des parties speed et planantes, comme dans "Pieuvre à la Pluie", avec toujours cette volonté d'aller le plus loin possible dans les airs... Je prépare parallèlement un album solo qui s'appellera Soleil 12, qui sera peut-être plus philosophique et métaphysique que L'Oeil ou Art d'Echo. Je compte à cette occasion réutiliser le son de ma voix pour certains passages.
Mon souhait le plus cher, c'est de garder le plus longtemps possible mes musiciens d'Extra-Lucide. De cette façon, nous transmettrons peut-être le virus anglais canterburien à ceux qui entendront notre musique. De toute façon, le proverbe dit "jamais deux sans trois", alors le troisième album de Forgas Band Phenomena se réalisera si tout va bien dans le courant 2000 en temps et en heure, car les choses bien faites se font avec le temps ! En attendant, nous allons reprendre les concerts, avec une première date le 3 décembre au Divan du Monde dans la cadre du Téléthon. Nous jouerons à 20h30, pendant une demi-heure, et Philippe Talet reviendra pour l'occasion jouer de la basse du fait de l'indisponibilité ce jour-là de Sébastien. Pour finir, merci à l'équipe de Big Bang de me donner la parole et le son !


DANS L'ANTICHAMBRE DU GRAND RETOUR (1993/94)

Commençons par revenir au tout début de l'histoire... Comment a début ta carrière musicale ?

Je suis né à Boulogne-sur-Seine le 5 octobre 1951. A l'âge de 12 ans, j'ai trouvé un banjo dans une poubelle de la route de la Reine là où j'habitais, et j'ai fait installer une peau animale pour le réparer, ainsi qu'un jeu de cordes. Très rapidement j'ai scié le manche du banjo et je me suis servi du coffre du banjo comme d'un tambour. Avec une paire de baguettes de normographe, je me suis improvisé batteur, et ce fut le début d'une grande passion...

Te souviens-tu de ton premier groupe ?

Oui, j'avais 14 ans, et je m'étais associé avec deux guitaristes acoustiques, l'un d'origine arménienne et l'autre d'origine espagnole. On reprenait des morceaux des Beatles. Au bout de quelques répétitions, j'ai réussi à me faire prêter ma toute première batterie, un modèle à paillettes jaunes de la marque Garry. Je l'ai utilisée lors de mon premier bal, dans un café de quartier à Clamart, en juillet 1966. Ensuite j'ai fait mon vrai premier groupe, avec un Noir à la guitare, un bassiste métis et moi à la batterie. On jouait des morceaux de tous les styles, pour animer des boums dans des écoles du quinzième arrondissement de Paris. On s'appelait les Sound Makers, et on est passés au Golf-Drouot. Si je me souviens bien, ça nous a même valu une photo dans le magazine Extra ! Puis j'ai enchaîné avec un groupe de variété, Music System, avec lequel je jouais dans les bals tous les week-ends. Ça m'a permis de me payer un meilleur matériel pour la suite. C'est alors que j'ai fait mon vrai premier groupe de compositions originales, en 1972. Ça ressemblait à du hard-rock, entre Alice Cooper, Led Zeppelin et Jimi Hendrix. On était maquillés sur scène, et le chanteur était Américain et mesurait près de deux mètres ! Ce groupe, à la fois théâtral et musical, s'appelait Créer, et a donné un seul concert, à la MJC de Parly 2...

Dans quelles circonstances as-tu finalement réalisé ton album Cocktail en 1977 ?

Après une initiation bouddhiste, j'ai arrêté cette musique pour me plonger dans la musique de Soft Machine et du courant Canterbury. J'étais un grand amateur des sons d'orgue, et je me souviens avoir été en Allemagne jouer de l'orgue dans de vieilles églises. Les Allemands, à l'époque, étaient à l'avant-garde en musique, et c'est qui m'attirait. Vers l'âge de 24 ans, j'ai fait partie d'une communauté de musiciens à Issy-les-Moulineaux. J'ai donc habité ce quartier pendant trois ans, et c'est à ce moment-là que j'ai enfin décidé de composer ma musique, dans un style proche de Soft Machine. J'ai réussi à faire une maquette chez Barclay, avec Didier Thibault et Dominique Godin de Moving. Cette maquette figure en bonus sur le CD L'Oeil - c'était le début de "My Trip". Hélas, comme Didier avait décidé de monter un nouveau groupe de son côté, j'ai dû trouver d'autres musiciens. Suite à une annonce, Jean-Pierre Fouquey est venu chez moi. Nous nous sommes compris tout de suite et nous avons commencé à travailler sur ce qui est devenu Cocktail. Le recrutement des autres musiciens s'est fait rapidement à partir du moment où nous avons eu un label et un producteur. Ceux qui m'ont accompagné sur Cocktail ont tous fait leur petit bout de chemin par la suite. Jean-Pierre Fouquey a rejoint Magma. Laurent Roubach, le guitariste, a fait deux albums pour Arista avec Eric Boell en hommage aux grands guitaristes de jazz. Laurent a ensuite fait carrière avec Catherine Lara. Quant à Gérard Prévost, il a joué dans le groupe Odeurs, puis il a fait le métier en devenant le chef d'orchestre du chanteur Renaud, puis de fil en aiguille il est devenu l'arrangeur des célèbres Gypsy Kings. François Debricon a joué trois ans avec Bernard Lavilliers. Patrick Lemercier a ensuite joué dans Malicorne. C'était un très bon violoniste, avec une très grande pureté de jeu, un peu comme Hendrix à la guitare. Je ressentais en lui pas mal de points communs, à savoir un vrai "ésotérisme musical", provenant du jeu spontané, naturel et non sophistiqué comme dans certains jeux jazz, autrement dit l'âme blues, telle que Soft Machine l'avait, cette espèce de lutte contre le conformisme musical...

Pourquoi n'as-tu jamais enregistré de deuxième album à cette époque ?

Pour des questions d'objectifs différents, j'ai préféré arrêter ce groupe pour le refaire un jour d'une autre manière. On ne faisait pas assez de concerts pour en vivre. Il était difficile de garder un effectif stable. Après l'album, j'ai monté un groupe de scène avec le même guitariste, Laurent Roubach, et le même violoniste, Patrick Tillemann - remplacé en cours de route par Jean-Pierre Thirault au sax -, mais avec un autre bassiste, Philippe Talet, et un autre claviériste, Eric Bono. On a fait une poignée de concerts, le tout dernier eut lieu dans le cadre du festival de Carquefou, près de Nantes, en septembre 1978. Le répertoire prévu pour le second album, qui était alors rôdé sur scène, n'a donc pas fait l'objet d'un enregistrement. Les difficultés du groupe avaient de plus des répercutions sur ma vie privée. Je me suis séparé de ma petite amie au même moment, et il m'a fallu dans un premier temps trouver un autre endroit où loger. Une amie qui faisait partie du mouvement des Amis de la Terre m'a hébergé Gare de Lyon pendant un mois. J'ai ainsi pu me trouver un travail de coursier pour les laits Gloria, ce qui m'a assuré un emploi jusqu'en 1982.

En 1980, j'ai eu un grave problème de santé aux yeux, et je me suis retrouvé handicapé pendant un an - je ne voyais plus au-delà de cinq mètres. Après m'être sérieusement soigné et occupant une modeste chambre dans le seizième arrondissement - car c'est là que je travaillais - j'ai pris conscience que sans un minimum d'argent la vie devenait un enfer. J'ai donc écrit 150 "chansons", dont trois ont fait l'objet d'un enregistrement chez CBS : "Miroir Tu Triches", "A Fond La Caisse" et "Puce A L'Oreille". Toute cette période a été très bénéfique pour que je travaille la voix professionnellement, ainsi que les textes. Chaque expérience fait penser que l'on est ou non fait pour un certain type de démarche musicale. Malheureusement, ce qui représentait pour moi une chanson dite "commerciale" ne l'était pas aux yeux des gens du métier, car là encore, mes textes étaient en grande majorité provocateurs, voire volontairement débiles et surtout humoristiques ! Le résultat fut que le seul 45 tours chanté que j'aie fait est passé à la poubelle de toutes les radios libres de l'époque. Ceci dit en passant, la publicité ainsi que les rentrées d'argent que cela provoque ont transformé certaines stations en équivalents de RTL...

Après cet échec supplémentaire - car pour moi entre la dite carrière de Cocktail et "Miroir Tu Triches", j'avais largement de quoi me mettre une balle dans la tête ! - j'ai rencontré les frères Bodganoff en 1984 et j'ai travaillé pour eux pendant un an, à l'époque de leur émission "Temps X" sur TF1. En 1985 j'ai fait des musiques dans l'émission "Moi Je" sur Antenne 2 avec Bernard Boutier et j'ai rencontré un super réalisateur, Claude Gallot, qui m'a fait travailler ensuite dans d'autres émissions jusqu'en 1990. En 1987 j'ai écrit une comédie musicale au théâtre de Boulogne-Billancourt, "La Création du Monde" de Jean Eiffel avec 80 danseurs, dont la plupart étaient des enfants. Cela a représenté pour moi un des plus beaux jours de ma vie, car la pureté des enfants, ainsi que leur énergie, donne le vertige. J'ai toujours su que l'alliance de la danse et de la musique donne aux yeux et aux oreilles un spectacle parfait.

Depuis 1990 je ne travaille plus à la télévision car la plupart de mes copains réalisateurs se sont retrouvés au chômage technique. Ça m'a permis d'envisager un travail de composition tel que je l'avais déjà fait avec "My Trip", c'est-à-dire une longue suite avec plein d'arrangements, beaucoup de chorus et une très grande recherche d'atmosphères. Ça paraît étrange à certains qu'au bout de quinze ans on refasse un groupe avec un concept identique à l'époque des années 70, mais c'est une réalité et ça marche vraiment, peut-être beaucoup mieux maintenant qu'à l'époque car il y a davatange de très bons musiciens qui ont plein de choses à dire et à faire. Les raisons de s'exprimer sont multiples et en fait toujours les mêmes.

Je me sens plus proche de l'art musical anglais, qui se distingue de son équivalent français par le fait qu'il ne cherche pas à prouver sa force. On est très loin de la mentalité des musiciens de chez nous. Ce qui compte pour moi, c'est le climat sonore en priorité, qui sera provoqué par le choix d'instruments comme l'orgue, les sons de harpe (simulation synthé ou guitare), ainsi que des vrais sons de basse qui ne veulent pas empiéter sur ceux des guitares. Dans cet atmosphère, la batterie doit avoir un son très humain, avec une grosse caisse comme un cœur, une caisse claire comme un tambour qui avertit d'un événement, dans le passé ou dans le futur, des toms accordés harmoniquement dans un esprit aquatique et non agressif, des cymbales cristallines avec des simulations de sons de gong... Plus on aime jouer avec les autres, plus on respecte son propre instrument et moins on fait de bruits inutiles pour remplir et faire du vent. La simplicité est souvent plus dure à trouver et à jouer, car elle fait appel à un très grande écoute, de soi comme des autres.

Quelles sont actuellement tes préoccupations et tes projets ?

Je vis actuellement une période très agitée car je remonte mon groupe. "Poltergeist", titre surprise d'Art D'Echo, m'a immédiatement remis dans le droit chemin : rejouer de la batterie après quinze ans d'interruption. L'improvisation totale, qui est souvent tout l'inverse de mon style d'écriture musicale, doit faire partie de mon prochain répertoire, bien que j'envisage aussi un net renforcement mélodique. Savoir composer, savoir improviser, savoir chanter en jouant de son instrument, avec l'indépendance que cela implique, tout ceci me correspond parfaitement.
En ce qui concerne l'effectif prochain de mon groupe, il sera volontairement réduit afin de gagner en cohésion. Composer pour de nombreux musiciens revient parfois à s'éparpiller. Aujourd'hui, il me faut un groupe moins lourd à gérer afin de mieux cerner mes objectifs. J'aimerais écrire
pour section de cuivres, chose que je ne faisais pas avant. Il ne s'agira pas de sections style rhythm'n'blues ou funky, mais d'une écriture à base de phrasés d'orgue d'église. Je pousse souvent les musiciens à exploiter le son dans tous les sons possibles, jusqu'aux bruitages...

Peux-tu déjà nous parler de ton prochain album ?

Oui, en effet, même si sa sortie est encore lointaine, je peux d'ores et déjà dire que j'envisage de faire à nouveau une longue suite musicale du type "My Trip", et peut-être même plus longue encore si mes musiciens veulent bien se prêter au jeu !...

La scène de Canterbury semble aujourd'hui en plein renouveau. Te sens-tu impliqué dans ce courant musical en tant que "filiale française", si l'on peut dire ?

Je m'identifie parfaitement à ce courant, en tant qu'admirateur de ces groupes des années 70, mais aussi en tant que défenseur de l'état d'esprit qui prévalait à l'époque. Malheureusement, je ne connais pas encore les nouvelles productions. Mais plus que jamais, je suis disposé à combler le retard !

N'es-tu pas un peu amer devant la situation faite aujourd'hui aux musiques de qualité ?

Je ne tomberai pas dans le piège du musicien incompris qui finira sa vie au fond d'une caverne isolée. Les temps changent, mais l'homme ne change pas... Un jour viendra où une chaîne de télévision ou une station de radio finiront par diffuser, pour se faire remarquer, ce que les autres ont si longtemps laissé de côté. Les musiques que je compose s'adressent à toutes les oreilles de la Terre. La sélection se fait donc naturellement par filtrage médiatique. On accorde évidemment beaucoup trop d'importance aux merdes commerciales, mais si ça contente les décideurs et qu'ils peuvent faire tomber les esprits paumés dans leur piège à fric, tant mieux pour eux et tant pis pour les paumés. La société est actuellement saturée de produits de très mauvaise qualité. Ça nous permet encore plus de nous faire remarquer un jour.

Comment, dès lors, perçois-tu l'avenir ?

Pour ce qui est de l'avenir, je le perçois un jour très noir, le lendemain autrement. Je crois seulement que les gens sont des girouettes qui se laissent mener par le bout du nez. Si on leur annonce des bonnes nouvelles aux actualités, ils ne vont pas être satisfaits, les pauvres, car on les a tellement habitués à broyer du noir qu'ils en redemandent...

Comment apprécies-tu le travail de Muséa ?

En ce qui concerne mes deux derniers albums, à vrai dire il s'agit surtout d'un personnage qui s'appelle Alain Juliac. Grâce à lui, en 1990, j'ai pu faire mon premier CD en solo, L'Oeil, car avec un peu d'argent mais surtout une foi énorme, on arrive à tout. J'ai donc invité mes anciens musiciens de l'époque de Cocktail, qui sont venus gratuitement participer à mes œuvres enregistrées sur un 4 pistes. Même chose pour Art D'Echo, à l'exception de Ron Meza, qui était une bonne relation de Jean-Pierre Thirault... Muséa se charge de faire fabriquer les CD et à les distribuer aux quatre coins du monde. C'est, à l'origine, plutôt un distributeur, et non un producteur, sauf pour certains artistes. Pour L'Oeil, ils ont payé la moitié du prix de fabrication des CD, et Alain Juliac a payé le reste de sa poche.

Où en est ce projet avec un chanteur-chorégraphe que tu évoquais il y a quelques années ?

Il a disparu de la circulation. Je nai plus aucune nouvelle. Je crois, malheureusement, qu'il s'est fait accrocher par la drogue en Italie.

A-t-on une chance de te voir prochainement sur une scène ?

Je le souhaite de tout cœur, en sachant qu'avant de remonter sur scène, cela représente un travail colossal de mise en place, ainsi qu'un choix très pointu des musiciens qui doivent correspondre à ma musique telle que je la souhaite pour la scène. Je conçois un groupe de musiciens comme des artistes de cirque qui doivent avant tout étonner les gens, et leur apporter beaucoup d'amour.


A PROPOS DE "L'OEIL" (1990)

Pourquoi ces treize ans entre Cocktail, ton premier album, et L'Oeil ?

Je n'en sais rien ! Par contre, je suis sûr qu'il existe au-dessus de nous des forces mystérieuses qui nous guident et qui font qu'à une période de notre vie, le moment vient pour qu'il se passe quelque-chose de très fort.

Qu'as-tu fait durant ce laps de temps ?

En 1982, j'ai fait un 45 tours chez CBS en tant que chanteur-auteur-compositeur, avec comme conseiller artistique Sylvain Collaro. Il avait écouté, tout à fait par hasard, au Midem à Cannes, une maquette que j'avais réalisée avec Hervé Lecoz. Ce fut une expérience très intéressante, mais avec un fond de tristesse car j'étais tout seul, sans musiciens pour m'accompagner. Nous avions juste fait venir Georges Rodi au synthé, un personnage que j'aime beaucoup et que j'avais découvert à l'époque, à l'orgue, avec Bernard Lubat. En 1984, j'ai travaillé pour l'émission "Temps X", et en 1987 pour "Moi Je". J'ai ensuite réalisé un comédie musicale au Théâtre de Boulogne qui s'intitulait "La Création Du Monde". Actuellement je continue à travailler de temps à autre à la télé pour différentes émissions.

Dans quel courant de la musique penses-tu t'inscrire aujourd'hui et comment juges-tu la musique de L'Oeil par rapport à celle de Cocktail ?

Je pense m'inscrire dans un courant qui rejoint les musiques sincères qui ont leur dose de résolte et de vérité. A vrai dire, je me sens beaucoup plus proche de la musique progressive que du jazz-rock pur. Pour ce qui est de la musique de L'Oeil, c'est je pense la suite musicale de Cocktail, avec les sons de maintenant, plus la maturité de mon âge, bientôt 39 ans.

Tu as repris sur L'Oeil une partie des mêmes musiciens que ceux de l'album Cocktail. Pourquoi ?

J'ai repris une partie des musiciens qui jouaient sur mon premier album (Jean-Pierre Fouquey, Laurent Roubach, Patrick Tillemann) car ce sont d'abord des amis pour toujours, et qu'ensuite ils me comprennent musicalement comme je pense les ressentir. Durant ces 13 années, ils sont tous devenus de très grands musiciens, ils l'ont prouvé par leurs disques respectifs et le confirment magnifiquement sur L'Oeil.

En ce qui concerne Jean-Pierre Fouquey, on a peu l'occasion sur disque de l'entendre jouer du synthétiseur. Dans L'Oeil, il nous offre un vrai régal !

Jean-Pierre a joué plusieurs chorus de synthé sur l'album, en me faisant remarquer que j'étais l'un des seuls à l'employer sur cet instrment. En fait je pense que c'est dû au type de mes compositions, qui se prêtent sans doute mieux à l'utilisation du synthétiseur.

Et la participation de Didier Malherbe ?

Didier, je le connais depuis 1977. A cette époque, avec le groupe Forgas, nous avions fait une première partie de Bloom, le groupe qu'il avait monté avec son départ de Gong. J'avais très envie de l'avoir sur mon nouvel album, car il a un esprit et un manière de jouer de son instrument qui, je pense, collent tout à fait à ma musique.

Dans quelles conditions matérielles s'est fait l'enregistrement ?

L'album a été enregistré avec les moyens du bord : un 4 pistes, un D110, une boîte à rythmes et un micro pour chanter. Par rapport à la perfection du son des disques actuels, je vais certainement passer pour un fou du simple ! Ceci dit, j'ai su, je pense, utiliser le matériel au maximum de ses possibilités et garder intacts le son et la sensibilité des musiciens. De toute façon, je crois que quand on a réellement des choses à dire, on peut le faire avec une simple guitare sèche !

Tu ne joues pas de batterie sur l'album. N'est-ce pas un peu frustrant pour toi qui es avant tout batteur ?

J'aurais effectivement préféré jouer de la batterie en direct avec les musiciens, mais les conditions matérielles de l'enregistrement ne l'ont pas permis. Ceci dit, je n'ai pas dit mon dernier mot...

Comme s'est faite l'élaboration de la musique ?

J'ai surtout écrit les parties de basse et les mélodies de chant, ainsi que beaucoup de rythmiques claviers. Les musiciens, quant à eux, sont venus jouer l'essentiel des chorus ainsi que certaines rythmiques. Il n'est pas inutile de préciser que le choix des sons utilisés a été au moins aussi important que la partition musicale elle-même. "L'Oeil" est une musique de groupe qui sera, je l'espère, fantastique à entendre sur scène.

Es-tu satisfait du résultat ? La musique de L'Oeil te représente-t-elle bien à l'heure actuelle ?

Il est difficile d'être parfaitement content du résultat, surtout quand, comme c'est le cas avec un 4 pistes, il est impossible de corriger le son ou les erreurs. Cependant, je considère qu'une musique sincère imparfaite reste plus authentique que celle produite par un ordinateur. Pour cette raison, je pense que cet album me ressemble bien.

L'album est dédié à Robert Wyatt. Pourquoi ?

J'ai dédié cet album à Robert Wyatt car ma musique rappelle, je crois, les années 70, mais surtout pour le fait que je n'y ai pas joué de batterie, de même que Robert, lui, ne peut plus jouer de batterie. C'est un clin-d'œil qui rejoint l'esprit avant la matière.

A la sortie de ton premier album, tu avais été baptisé le "Wyatt français". Que t'inspire cette comparaison ?

Je pense effectivement avoir été inspiré par Robert Wyatt, mais c'est tout. Chaque chanteur ou musicien est un être particulier et ne peut être identifié à qui que ce soit. Ma façon de chanter n'est pas une imitation de sa voix, c'est simplement le fait que je n'arrive pas à faire de la variété française avec mes cordes vocales. Quant à la batterie, tous les batteurs ont des points communs. En ce qui me concerne, je préfère en jouer de manière à faire planer les gens plutôt que de les assommer comme pourrait le faire un marteau-piqueur... Pour bien jouer de la batterie, il faut être très clair avec soi-même et savoir écouter les autres pour bien jouer avec eux, car la batterie c'est le cœur d'un groupe, son moteur...

Pour en revenir à ton dernier album, peux-tu nous donner quelques indications sur les deux bonus, "My Trip" et "Zë" ?

"My Trip" a été enregistré en 1975 avec mon groupe de l'époque. Il s'agit d'une maquette qui devait donner une identité musicale et un esprit à l'album que nous avions prévu d'enregistrer. Hélas, peu de temps après, Didier Thibault et Dominique Godin sont partis faire un groupe ensemble, Moving, et j'en ai fait de même avec d'autres musiciens, d'où un son et un feeling différents par rapport à la version qui figure sur Cocktail, qui possède une petite couleur jazz-rock. Sur "Zë", enregistré en 1978, l'esprit a encore changé, du fait de l'arrivée d'Eric Bono aux claviers et de Philippe Talet à la basse, tous deux n'ayant pas participé à Cocktail. "Zë" est un long medley d'un seul et unique morceau qui aurait dû faire l'objet d'un second album qu'on n'a jamais enregistré.

En dehors de ce nouvel album, as-tu en ce moment d'autres activités en rapport avec la musique ?

J'ai actuellement un projet de disque avec la complicité d'un chanteur-chorégraphe génial, mais je ne peux en dire davantage pour l'instant.

Y a-t-il un rêve que tu aimerais réaliser ?

La chose la plus belle à laquelle rêve un musicien, c'est de faire, un jour, un disque pour aller plus loin dans l'amour qu'il a pour les autres. Mon rêve à moi serait de réaliser un disque avec Robert Wyatt, lui au chant et moi à la batterie, un disque avec une atmosphère très folle et très optimiste.

Entretiens réalisés par Aymeric Leroy, Alain Juliac et Laurent Métayer